Par Jean-Luc Moreau, Ingénieur en innovation automobile et consultant en mobilité durable
Imaginez une voiture dont vous pourriez changer la carrosserie comme un smartphone change de coque, ou adapter l’espace intérieur selon vos besoins du jour. Ce n’est pas de la science-fiction, mais la promesse des voitures modulaires. Face à l’urgence écologique et la demande croissante de flexibilité, cette approche révolutionnaire questionne l’industrie automobile traditionnelle. Les constructeurs investissent massivement dans des plateformes modulaires capables d’accueillir plusieurs types de carrosseries, moteurs et technologies. Mais cette vision est-elle réalisable à grande échelle ? Entre innovations techniques et défis économiques, explorons si la modularité incarne véritablement l’avenir de la mobilité.
1. La modularité automobile : une réponse aux enjeux contemporains
La modularité automobile repose sur un principe simple : dissocier le châssis modulaire (ou « skateboard ») des modules supérieurs (habitacle, batteries, coffres). Cette architecture, popularisée par REE Automotive et Canoo, permet des reconfigurations rapides : un même véhicule devient tour à tour berline, utilitaire, ou même camionnette. L’économie circulaire y trouve un allié : en prolongeant la durée de vie des composants, on réduit les déchets. Volkswagen l’a compris avec sa plateforme MEB, utilisée sur l’ID.3 et l’ID.4, tandis que NIO mise sur l’échange de batteries pour optimiser l’usage.
2. Avantages concrets : du sur-mesure à l’écologie
- Personnalisation extrême : Des marques comme Luvly (Suède) ou XYT (France) proposent des kits de carrosseries interchangeables. Un client pourrait choisir un look sportif le week-end et un profil utilitaire pour le travail.
- Réduction des coûts : Selon une étude McKinsey, la mutualisation des plateformes modulaires abaisse les prix de 15 à 20%. Renault exploite ce potentiel avec sa Nouvelle Mégane E-Tech, partageant 70% de ses composants avec d’autres modèles électriques.
- Durabilité accrue : Le design modulaire facilite les mises à jour logicielles ou matérielles, comme le système de batteries amovibles de Tesla, évitant l’obsolescence programmée.
3. Défis techniques et réglementaires
Malgré ses atouts, la voiture modulaire se heurte à des obstacles de taille :
- Sécurité : Les normes crash-test (Euro NCAP) exigent des structures monocoques. Comment garantir une rigidité optimale avec des modules amovibles ? Arrival travaille sur des composites légers, mais les validations prennent du temps.
- Homologation : En Europe, chaque configuration de véhicule doit être certifiée individuellement – un cauchemar administratif.
- Rentabilité : Les investissements initiaux sont colossaux. Sony, avec son concept Vision-S, mise sur des partenariats pour mutualiser les coûts.
4. Les acteurs en lice : des start-ups aux géants
- Start-ups disruptives : REE Automotive mise sur des plateformes plates logistiques, tandis que Canoo séduit Uber avec son van modulaire.
- Constructeurs traditionnels : Stellantis développe le projet STLA Brain, une architecture électronique modulaire pour ses futures Peugeot et Fiat. BYD innove avec sa plateforme e-Platform 3.0 intégrant des batteries structurelles.
- Nouveaux entrants : Apple explore un véhicule modulaire, selon des brevets déposés.
5. Perspectives : vers une démocratisation ?
D’ici 2030, 30% des véhicules électriques pourraient reposer sur des plateformes modulaires (source : BloombergNEF). Les villes intelligentes y voient un atout pour optimiser les flottes partagées : un même châssis servirait de taxi la journée et de livreur la nuit. La mobilité durable bénéficierait aussi de la baisse des matières premières grâce au réemploi des modules. Pourtant, le succès dépendra de trois critères :
- L’évolution des réglementations.
- La baisse des coûts des batteries interchangeables.
- L’adhésion des consommateurs au concept de véhicule évolutif.
La révolution des voitures modulaires n’est plus un fantasme, mais une trajectoire technologique déjà engagée par des acteurs majeurs. Elle incarne une réponse pragmatique aux défis du siècle : réduction de l’empreinte carbone via l’écoconception automobile, adaptation aux nouveaux usages (télétravail, livraisons express), et personnalisation poussée répondant à l’exigence de sur-mesure automobile. Toutefois, son avenir commercial repose sur un équilibre délicat.
Les défis techniques – comme l’intégration sécurisée des modules ou la standardisation des interfaces – demandent encore des innovations. Les géants comme Volkswagen ou Tesla disposent des ressources pour les relever, mais les start-ups telles qu’Arrival apportent l’agilité nécessaire. Parallèlement, le cadre juridique doit évoluer : l’Union européenne planche déjà sur une réforme de l’homologation des véhicules modulaires.
Économiquement, la modularité automobile pourrait démocratiser l’accès à l’électrique en réduisant les coûts de production, mais elle nécessite des investissements initiaux lourds. Les consommateurs, eux, devront accepter de renoncer à la propriété intégrale au profit d’une logique d’usage : louer un module hiver (4×4) pour le ski, puis revenir à une configuration urbaine. Cette transition culturelle est peut-être le plus grand obstacle.
En synthèse, si la voiture 100% modulaire grand public reste un horizon à moyen terme, ses principes irriguent déjà l’industrie. La plateforme modulaire de Renault, le système NIO Power d’échange de batteries, ou les prototypes de Canoo montrent que la tendance est irréversible. Demain, notre rapport à la voiture ne sera plus figé : elle deviendra un objet adaptable, durable et profondément humain. Reste à transformer l’essai… sans sacrifier la sécurité ni l’émotion de conduite.